Né en 1966, d’origine italienne, Paolo Topy réalise ses premières photographies à l’âge de 13 ans. Deux ans plus tard, son père lui offre son premier appareil de photo. Tout naturellement, c’est son environnement proche (parents, amis) qui fait l’objet de ses premières expériences photographiques. Ce sont essentiellement des portraits en noir et blanc d’une surprenante maturité où l’on peut déjà percevoir certains traits qui lui sont propres bien que l’intérêt et l’admiration qu’il porte aux œuvres de ses aînés soient perceptibles. Il s’agit pour lui de témoigner de la beauté des êtres qui l’entourent, des êtres qu’il aime. Une beauté déconnectée de tout jugement esthétique. Ces sujets sont beaux à ses yeux parce que, encore enfant ou jeune adolescent, il les voit avec la tendresse et l’admiration naturelle que l’on porte à cet âge pour son environnement affectif. Le regard porté au travers de ces premiers clichés trouve sa source dans une relation au monde du handicap auquel il a été confronté très tôt. Témoin de la capacité des personnes fragilisées à développer des facultés autres, des modes de perception différents, s’identifiant inconsciemment à cet univers, il trouve spontanément en lui-même cette part de « handicap » comme il l’expliquera plus tard, de fragilité qui va lui permettre de voir sans artifices, au-delà des apparences, au-delà des conventions et de tout jugement.
Avec la maturité, réalisant combien la technique apprise par l’assimilation des expériences faites par les photographes admirés impose une esthétique convenue qui relève pour lui d’une certaine forme d’académisme, il commence à concevoir une approche plus personnelle de la photographie. L’inconscient fait, alors, place à une démarche volontaire qu’il construit au fur et à mesure de ses propres recherches. Il s’éloigne ainsi rapidement des influences et des pratiques qui avait participé à sa formation et donc, de fait, des stéréotypes.
Ce sont ses lectures et tout particulièrement celles des œuvres d’Elsa Morante, la manière dont cette dernière décrit avec tant d’acuité la réalité du quotidien qui, finalement, le marqueront le plus et l’amèneront à considérer autrement son approche de la réalité.
Sa pratique exclusive du noir et blanc continuera jusqu’en 1998 date à laquelle il réalisera un dernier ensemble de photographies à Cuba qui viendra clôturer cette première phase de son travail.
Afin de s’approcher au plus près de la réalité, de s’habituer à la percevoir au-delà des apparences, il choisit stratégiquement de se confronter à sa forme corrompue. A cette époque, il vit déjà à Milan où il s’est installé en 1990. La capitale italienne de la mode est alors encore en pleine effervescence. Fasciné et conscient de ce qu’une telle expérience peut apporter à ses propres recherches, il décide donc d’une immersion dans ce monde où l’image fabriquée est au cœur des stratégies de communication. Il y travaille tout naturellement comme photographe. Ce qui, accessoirement, le fait vivre. Cette expérience lui fait réaliser la distance créée par les codes inhérents au genre lui-même. Le sujet photographié relève d’une « réalité » idéalisée, distancée, finalement très construite, de l’ordre de la fiction, très éloignée de ce qu’il recherche. Ce fait confirme ses convictions. Lui, souhaite, au contraire, laisser libre cours à une construction mentale spontanée et laisser de côté toute forme de calcul, de surenchère esthétique.
Le désir qu’il a d’aborder la réalité de manière plus descriptive le pousse à réaliser un premier « parcours » où il s’attache à « dévoiler » ce même monde de la mode, des célébrités qu’il a l’habitude de photographier dans le cadre de cette activité. Devant son objectif défilent des mannequins ainsi qu’une partie du gratin Milanais. Cela passe par une mise à nu qui a vocation à éliminer le voile des contingences. En fait, il souhaite une relation directe avec son sujet sans fard ni artifice. Il a la volonté de photographier les êtres tels qu’ils sont et de faire tomber les masques, de mettre hors-jeux les faux-semblants.
C’est à ce moment-là qu’il réalise Casting. Cette œuvre composée d’un ensemble de photographies nous permet d’être les témoins d’un moment particulier. Celui où les modèles d’un casting pour des photographies de mode sont encore « une matière brute ». Pas encore maquillés et habillés, baignés d’une lumière crue, ils sont présentés de face sans aucun artifice avec leurs propres sous-vêtements. Cette série insiste sur la marchandisation du corps humain. Déjà, la personnalité des individus s’efface. Ils se ressemblent tous. Leur corps est dans une « pose » figée en attente de ce moment où la « vie » ou, en tout cas, son simulacre leur permettra d’exister de manière illusoire le temps d’une photographie aux effets savamment orchestrés. Qui sont ces jeunes femmes ? Quelle est leur vie, leur vraie vie ? Les lois du marché s’en moquent. Et nous ? Sommes-nous encore capables de discerner le vrai du faux, d’échapper aux stratagèmes du marketing, de la publicité ? Ce sont les questions que le photographe nous invite à nous poser dans cet ensemble ou la neutralité n’est, évidemment, qu’apparente.
A partir de là, l’acte photographique devient très frontal. La lumière révèle la réalité du sujet. L’œuvre Paride, magnifique photographie donnant à voir un homme âgé, nu sur son lit en position fœtale en est une parfaite illustration. Ses recherches sur le nu sont un de ses parcours les plus longs. Ces nus ne relèvent pas de sa part d’une quelconque volonté d’exhiber une certaine forme de beauté organique mais plutôt le souhait de montrer comment ces mêmes corps « disent » et « témoignent », dans leur simplicité, de la profonde humanité, de la personnalité de ceux qui ne font pas que l’habiter. Ils sont ce corps libéré de toute obligation et convention sociale.
En 1995, en Californie, il parcoure une exposition présentant l’œuvre de Nan Goldin au Musée d’art contemporain de San Francisco. Cette dernière réalise une sorte le reportage de sa vie et, au-delà, d’un milieu underground, en marge. Le fait qu’un tel parcours puisse être exposé dans un musée est une révélation. La stratégie de Paolo Topy devient plus claire, plus efficace. Comme elle, il rend visible l’ordinaire d’une vie, de la vie mais contrairement à elle, il a la volonté de transformer chacun des personnages qu’il photographie en icône, à les faire entrer dans une sorte de panthéon très personnel.
Alors qu’auparavant il avait fait l’expérience de photographier des personnages très médiatisés qu’il avait cherché à dévoiler dans leur vraie réalité, il se met à photographier uniquement des anonymes avec pour objectif, par le truchement de son travail, d’en faire des célébrités tout en révélant leur « handicap » c’est-à-dire leur profonde humanité. Ce sont, pour lui, des « stars ». Une starification conséquence inattendue de leur anonymat et de leur vie « ordinaire ». En fait, il souhaite les « célébrer ». Son travail s’articule dès lors autour de l’idée d’une certaine banalité qu’il va inscrire comme préambule dans tous les aspects de sa démarche. Il en fera dorénavant l’éloge.
Les œuvres de cette période sont très révélatrices de ce principe comme, par exemple, Eufrasia ou bien encore la série Hope. La première est extraite d’un travail réalisé en contact avec le monde du handicap. Imperceptiblement, s’opère un glissement dans l’image qui nous montre un être semblant non pas en difficulté physique ou mentale mais sorti d’un monde rêvé ou inventé. Le handicap n’est plus perçu comme tel mais plutôt comme une étrangeté difficile à caractériser. La différence devient « merveilleux », source de fascination, d’attraction. Cette fascination et cette attraction que l’on a, spontanément, enfant pour les mondes imaginaires et les personnages qui les peuplent, pour l’autre. La seconde est une série de portraits où chaque protagoniste a été invité à fermer les yeux et à faire un vœu. Nous sommes, nous-mêmes, amenés à en faire un, à espérer mais aussi à regarder autrement les autres et particulièrement ceux et celles que nous croisons au quotidien et auxquels nous ne prêtons pas toujours attention. L’une des photographies composant cet ensemble est une concierge d’immeuble. Pour Paolo Topy c’est, justement, ce changement de regard auquel il nous invite et cette attention portée aux autres et à l’ordinaire de la vie qui peut permettre l’espoir d’une autre condition pour tous.
Son travail se focalise, entre autres, sur le traitement de la couleur qu’il veut crue, plus crue que la réalité elle-même afin d’avoir, comme il aime à le dire : « l’impression de les toucher ». Cette couleur, il l’assimile à celle qui s’est démocratisée depuis les années cinquante et soixante et qui est celle des photographies que l’on réalise en famille. Ces photographies « souvenir » faites lors des moments heureux de la vie qui, artistiquement, ne sont rien. C’est justement ce « rien » qui l’intéresse.
Ce dernier fait l’objet de toutes les attentions. Il s’agit de mettre en place une « manière » qui ferait oublier le photographe et partant de là l’acte photographique lui-même. Paolo Topy ne se définit d’ailleurs pas comme un « photographe ». Il utilise simplement la photographie comme moyen au service de l’objectif qu’il veut atteindre.
En 2002, alors qu’il doit photographier, dans un hôtel, des créations de couturiers, il demande à un concierge et à une femme de chambres de les exhiber à bout de bras. Ces photographies, autant par la stratégie rocambolesque mise en place que par la « manière » très crue à l’œuvre, ne sont évidemment pas au goût du commanditaire, un important magazine qui, étonnamment séduit et convaincu, les publie malgré tout.
Par la suite, il part momentanément travailler sur de nouveaux parcours personnels au Brésil en 2004 et à New-York à partir de 2006.
En 2008, le divorce avec le milieu de la mode, en réalité déjà consommé depuis longtemps, devient définitif.
C’est à cette date qu’ il réalise America close up, une série de clichés réalisés pendant les élections américaines où des gens ordinaires, ceux qui constituent ce que l’on appelle « le peuple », semblent s’interroger face au drapeau américain réalisé par Jasper Johns et exposé au MOMA de New-York, une réflexion sur le rôle des élections dans une démocratie moderne.
La même année, avec Stormy Time, il donne à voir l’apparente banalité d’une pose, d’un « instant » convenu, celle de tout jeune couple se prêtant au jeu d’éterniser un bref instant de « bonheur » de leur vie. L’instant du photographe est autre. Fugace et révélateur, il donne à voir une autre réalité.
Depuis, c’est en France qu’il vit et travaille.