Déjà, il y a l’allure : une silhouette élancée, désinvolte, un port de tête altier, un visage à la beauté dure et au regard qui vous perce avant de pétiller si vous la faites rire. Rose de Ganay ne passe pas inaperçue. Et puis, il y a ce nom digne d’une héroïne de roman. Descendante d’une famille qui plonge ses racines au XIVe siècle, elle incarne un style de vie semblant d’une autre époque et que l’on regarde avec envie. Pour les amateurs de châteaux, Ganay rime avec Courances, merveille de brique et de pierre lovée au milieu d’un magnifique parc, à quarante-sept kilomètres de Paris, en lisière de la forêt de Fontainebleau. Mais pour les initiés, c’est aussi Fleury-en-Bière, l’autre fleuron familial. Situé à seulement dix minutes du premier, il n’est pas ouvert à la visite. C’est là que l’artiste a grandi. «Mon père Charles avait quatre frères. Avec André et Michel, ils se sont partagé Fleury. Jean-Louis, l’aîné, a hérité de Courances et Paul a eu le château du Ruisseau.» On imagine tous les souvenirs de la jeune Rose… Elle nuance toutefois : «Mes parents ont divorcé quand j’avais six ans. J’ai alors suivi ma mère à Paris et ne retrouvais Fontainebleau que les week-ends.» Là est née sa passion pour l’équitation : avec ses cousins, elle monte dans des clubs de la région. L’adolescente découvre ensuite les joies du jumping. À 18 ans, elle fait preuve d’une grande maîtrise et dispute des concours hippiques. «J’ai fait cela très sérieusement jusqu’à il y a encore quelques années. Maintenant, je m’occupe de chevaux de courses.» Au détour de la conversation, on apprend que son grand-père maternel, Ferdinand Béghin, lui a également transmis le virus. «Près du château de
Bellincamps, sa maison de Thumeries, il y avait une magnifique carrière d’obstacles où il organisait des concours privés.»
Bac en poche, le jeune fille est déjà trop insaisissable pour choisir une voie classique. Elle suit des cours d’anglais commercial, part pour New York, travaille chez Régine, son carnet d’adresses en faisant une public relation de choix. De retour à Paris, elle s’initie à la mode chez Claude Pétin créatrice de Diamant noir puis se tourne vers la décoration. Elle s’inscrit à l’Institut supérieur de peinture décorative à Pantin, devient une experte en patine et faux marbre… Son appartement du 6e arrondissement en est l’illustration. La salle à manger, particulièrement, avec un trompe-l’œil d’un vert audacieux. Les autres pièces sont plus calmes mais remplies d’œuvres et d’objets d’art qui disent la singularité de la maîtresse de maison. Les tableaux, tout d’abord, sont loin d’être anodins. Dans la salle à manger, sur l’étonnant faux marbre citron vert, se détache un portrait de chien de Desportes : une œuvre provenant de son grand-père maternel, qui était collectionneur. Dans le salon, une magnifique toile orientaliste illumine les boiseries anciennes. Celle-ci est signée Max Rabes. Son titre ? «Le Repos dans les ruines… Je l’ai achetée en vente aux enchères.» À ses côtés se trouve un tableau d’Alfred de Dreux, que sa propriétaire commente avec humour. «Hélas, je n’ai pas pu m’offrir un beau cheval de course, qui est ce qui se fait de mieux chez De Dreux. Celui-ci est plus modeste, mais je l’aime bien.» L’animal semble rentrer à l’écurie, tiré par un cavalier en armure. De l’autre côté, un autre cheval intrigue. Lorsque l’on s’en approche, on découvre un cartel avec un nom qui interpelle : Manet. «Mais ce n’est pas le bon», s’amuse-t-elle encore. En revanche, le tableau au-dessus de la commode est bien de Jan Bruegel le Jeune. «Il fait partie d’une série de quatre qui étaient chez ma mère.» Dans le salon attenant, l’ambiance est résolument plus moderne, avec une toile de Matta, une sculpture de Gérard Garouste «un coup de cœur à la FIAC» , une table basse et des consoles d’Olivier Urman. Mais la description ne serait pas complète si l’on omettait de citer les propres œuvres de Rose de Ganay. Car de la décoration d’intérieur, l’artiste en herbe est un jour passée à la sculpture. Son amour pour l’équitation a nourri le thème de sa première exposition : le cheval dans l’histoire. «Avec Pégase, le Minotaure… » Puis, elle s’essaie à la figure humaine en faisant poser ses amis et en réalisant leur buste à la façon d’Arcimboldo… L’exposition s’appelle «Rose a ses têtes» ! Elle trouve ensuite un compromis entre arts appliqués et arts plastiques. En s’inspirant de la nature, elle imagine des pièces un rien surréalistes : guéridon Méduse, cendrier Poisson, centre de table Arbre… Entre-temps, elle façonne cette sculpture baptisée Les Acrobates, qui trône sur la table de salle à manger, ou cet iguane plus vrai que nature au pied d’une console en bois doré, meuble sur lequel est posée l’une de ses plus jolies pièces : un arbre mort en bronze, qui semble griffer de ses racines le plateau de marbre. par Eric Jansen dans la Gazette de l'Hôtel Drouot (13 juin 2019)